39. Laisser monter la pression

Plus vite, plus fort.

Plus loin, toujours plus loin.

Seule devant le gouvernail contenant le secret de leur lieu d’arrivée, Élisabeth Malory chantait faux face aux étoiles.

Son regard turquoise ultrasensible avait appris à différencier les lueurs qui éclairaient le sublime panorama en permanence. Tout ce qui n’était jadis pour elle que des points blancs dans le ciel nommés « étoiles » s’avérait une sorte de jungle dont il fallait connaître les dangers et les avantages : galaxies, groupements de galaxies, nuages stellaires, nuages de gaz, étoiles, groupements d’étoiles, météorites, supernovae, cordes cosmiques, mais aussi trous noirs, fontaines blanches…

Ces deux anomalies de l’espace étant repérables non pas à l’œil nu mais à l’aide du petit radiotélescope embarqué sur le Papillon des Étoiles.

Même les champs magnétiques et les vents solaires n’avaient plus de secret pour cette navigatrice de l’espace.

Les nébuleuses formaient des sculptures taillées dans la poussière chatoyante.

La ligne sans fin de la galaxie vue sur sa tranche s’affichait en arrière-fond.

Élisabeth Malory surveillait sur les photomètres l’intensité des vents de lumière stellaire qui s’engouffraient dans les deux grandes voiles triangulaires. Ceux-ci changeant tout le temps, elle régla au plus tendu les cordages grâce aux servomoteurs électriques télécommandés.

Face à elle le gouvernail avec son logo de papillon et sa terrible devise : « LE DERNIER ESPOIR C’EST LA FUITE. »

Au-dessus des claviers : l’énigme censée être facile, mais qu’elle ne résolvait toujours pas.

« Cela commence la nuit.

Cela finit le matin.

Et on peut le voir quand on regarde la lune. »

Le crépuscule ?

L’étoile du Sud ?

Le reflet du Soleil ?

Non, il devait y avoir un « truc ». Elle se dit qu’Yves était un enfant. Un enfant maladroit, étourdi, mais un enfant avec une imagination suffisamment audacieuse pour fabriquer ce grand jouet et y embarquer 144 000 personnes.

Et il existait 144 000 individus suffisamment stupides pour suivre cet enfant mal grandi. Parmi eux : elle.

La navigatrice se mit à rire toute seule, étonnée de voir, étrange mimétisme, comment le rire de Mac Namarra avait déteint sur elle.

Rire à la manière de Mac Namarra était un sport complet qui musclait la cage thoracique et la gorge, une activité totale qui nettoyait l’organisme.

À ce moment un écran se mit à signaler un astéroïde qui arrivait droit sur eux.

Aussitôt Élisabeth entreprit de tourner le gouvernail pour dévier le vaisseau spatial, une manœuvre très lente et progressive, si bien qu’aucun des passagers ne se rendait compte qu’elle avait changé de cap. Mais elle savait – c’était d’ailleurs sa fonction principale au gouvernail – éviter les astéroïdes. Un peu comme jadis elle savait éviter les icebergs, les baleines et les récifs.

Elle suivit l’objet céleste sur les écrans de contrôle.

Quand il fut assez proche elle sortit ses jumelles et suivit le trajet du gros rocher au ras de la voile droite. Puis elle tourna le gouvernail de bois pour replacer le voilier solaire sur son cap des trois lueurs. Derrière elle, la vie s’organisait dans le Cylindre.

Les 144 000 avaient très vite « meublé » les 31 autres segments.

Ils avaient étalé le sable, la rocaille, puis l’herbe et les arbres en provenance des hangars du fond pour créer selon les indications de Caroline ce qu’on appelait le « reste du décor ». Ils généraient ainsi d’autres collines, d’autres vallées, d’autres rivières, d’autres forêts.

Il y avait désormais 32 kilomètres de terre artificielle où l’on pouvait se promener en avant, en arrière et de haut en bas.

Un groupe de maçons travaillaient à bâtir le premier village, baptisé Paradis-Ville, en partie sur pilotis au-dessus du lac aux reflets mauves.

Quand tout le minéral, le végétal et l’habitat avaient été proprement disposés, Yves avait proposé qu’on libère l’élément animal.

Il commença par lâcher les insectes. Du plus petit au plus gros. Des fourmis aux scarabées, en passant par l’araignée, l’abeille et bien sûr le papillon. Chacun ayant un prédateur naturel, c’était la règle.

Puis ils avaient procédé de même pour le monde aquatique, de l’algue au coquillage, du têtard au brochet.

Ils étaient ensuite passés aux animaux plus importants : les batraciens : grenouilles et salamandres, les rongeurs : rats et écureuils, les herbivores : moutons et vaches, les carnivores : renards et chats sauvages.

Yves préféra qu’on attende un peu avant d’installer les potentiellement nuisibles pour l’homme : moustiques, sangsues, mouches. A fortiori il suggéra de patienter davantage encore pour les dangereux : scorpions, serpents, ours, tigres, lions, hyènes.

Ces derniers restaient pour l’instant à l’état d’œufs fécondés dans des éprouvettes de l’armoire réfrigérée, au cas où les prochaines générations auraient envie de les faire naître. En toute logique ils souhaitaient pouvoir se promener dans le Cylindre sans craindre de rencontrer un fauve enragé.

Parmi les 144 000, ceux qui n’étaient pas affectés aux travaux de bâtiments œuvraient dans les champs aux semailles de ce qui allait devenir la première récolte. D’autres faisaient paître les troupeaux d’herbivores. Tous savaient que les réserves de nourriture, d’air et d’eau étaient prévues pour à peine six mois et qu’ensuite, ils devraient fabriquer eux-mêmes ces trois éléments indispensables à leur survie.

Les tâches s’étaient réparties selon le principe du volontariat : « Qui veut faire quoi ? » Pour les tâches les plus ardues Adrien Weiss avait prévu un système de répartition différent. Ceux qui les choisissaient n’avaient à travailler que quelques heures par jour. C’était la règle : « Plus c’est pénible moins on travaille. »

Pour l’instant cela fonctionnait.

Sans le soleil – néon central qui produisait sa lumière blanche artificielle – et le fait qu’en regardant le ciel on voyait des plaines et des forêts avec des gens la tête en bas, certains auraient pu par moments se croire sur Terre.

La température générale, après avoir été trop fraîche puis trop chaude, avait finalement été réglée sur 24°C pour le jour et 19°C pour la nuit, ce qui correspondait à un été de zone tempérée terrestre.

Toutes les vingt-quatre heures une horloge spéciale recréait un crépuscule puis une nuit artificiels.

 

Le papillon des etoiles
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